Contes des sept occidents

Les papillons

Quelque Chose au fond de mon ventre met au monde les joies du moment. Ce sont des papillons que je ne sais pas rattraper. Mais on me donne à les nommer. Je prends le temps. Je ne nomme pas à la légère. Il me faudrait un millier d’étoiles, des constellations, des lacs et des rivières ; il me faudrait des clairières ainsi que quelques pommes de pins. Il me faudrait des lunes et des soleils, ainsi que des océans et tout ce qu’ils contiennent. Il me faudrait des suspensions de voiles et de drapures.

Tantôt, j’ai vu passer un ours brun, mais il ne s’agissait pas de l’ours que j’avais connu autrefois. Celui-ci était autrement plus apathique, plus endormi aussi, presque inerte en dépit de sa marche. Il avait l’air d’avoir fait un mauvais rêve. Je n’ai pas osé lui parler. Il traversait une forêt sombre. Je l’ai laissé partir. Comment voulez-vous retenir un ours ? Ceci fut un bref éclair. Pensez-vous qu’il ait vraiment disparu ? Non. Je l’ai retenu du plus profond de mes pupilles. Ensuite, j’ai entendu une musique, exhalée depuis le volètement joyeux des papillons. Alors, il se passa une drôle de chose : chacun de ces lépidoptères me parla et me donna son nom. Ce fut, à chaque fois, des mondes nouveaux qui jaillissaient et je restais sans voix. Il en est un qui attira un peu plus mon attention. Il palpita au creux de mon ventre avec une force inouïe et je fus sous l’effet du plus grand des sortilèges, car depuis ce papillon, je vis apparaître un fabuleux monde. Il y avait des arbres gigantesques et des fleurs de toutes les sortes de tailles et de couleurs inimaginables. Des vallées s’étendaient sous le soleil et resplendissaient d’un vert éclatant. Je planais au-dessus d’une mer étincelante et j’apercevais même le tracé cotonneux de l’écume. C’était à perte de vue une verdure qui semblait se répandre simultanément en mon propre corps. Depuis ce papillon, il naquit un jardin, une mémoire, et j’en ressentis une secousse monumentale. Je vis un homme qui marchait lentement. Je sus qu’il s’agissait de mon frère, mon frère d’âme. Je le suivis doucement, pour ne pas le déranger. Il me fallait m’acclimater à toute cette nouveauté. Effectivement, je ne respirais plus de la même façon, je ne voyais plus de la même manière, et une euphorie naturelle me submergeait. Je ne marchais plus, mais j’effleurais le sol. Cet homme me vit et me salua avec tant de chaleur. Nous nous connaissions et soudain, la mémoire nous aspergea d’autres images d’une vivacité incroyable. Nous n’avions guère besoin de parler. C’était si doux que j’en oubliais l’autre monde. Je ne voulais pas revenir et ne revins finalement que pour une simple raison : il me fallait créer un pont entre les deux mondes, entre l’Orient et L’Occident. Il me fallait créer une brèche. Seulement, cette brèche fut possible, uniquement par l’effet de la grande et majestueuse grâce d’un papillon bleu qui vint se poser sur l’épaule de l’homme. Il vint par trois fois.

Océan sans rivage©Conte des sept Occidents, les papillons.

Voir aussi Noblesse et Art de l’écu

Armoiries de Bady Bassitt (Brésil)

Laisser un commentaire