Apprendre, c’est Le souvenir (AL DHIKR)

Peinture de Sir William Orpen (1878-1931)

Il m’appela bien avant que je ne L’appelle, pressant, constant, patient mais ferme. Il venait se poser partout là où j’allais et je lui demandais : où puis-je donc aller ? Il venait les matins, alors que tout le monde dormait, et Il venait le soir, mais, ne venait-Il pas aussi au cours de la journée sans crier gare ? Il venait quand je ne L’attendais pas, et Il venait quand je Le cherchais. Parfois, Il me donnait un nom, parfois, Il venait sans m’avertir, tel un voleur. Il me prenait la vie mais Il me la rendait toute entière. Je dansais seule sur les chemins et lui parlais inlassablement. Cette plénitude ne s’invente pas ; elle est au bord des routes, elle est dans le cœur qui parle et tout devient votre corps et tout devient un seul regard. J’avais trouvé ce qui ne saurait être nommé et tout le labeur n’avait plus même de sens, car, tout venait jusqu’à moi sans que je ne Le cherche, sans même que je ne lève une seule fois la main. La vague m’inondait de son riche limon et je buvais et mangeais L’Esprit, cette Manne et ces Cailles, et je nourrissais ma terre et je devenais elle. Qui peut saisir cette merveille quand tout valse et que tout vous porte sans que vos pas ne soient autres qu’un simple effleurement sur le sol ? Vous avez tout quitté, mais tout revient, comme si le vent était un secret amant et que la vie était la seule personne qui soit. J’appris à voir.

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Digression (29)

Peinture de Daniel Gerhartz

Je t’ai peint de couleurs et de miroirs ainsi que de chants cristallins, parce que petit homme, je te voyais de loin. J’avais pris la forme parfois mutine d’une ondine et je parcourais des distances incommensurables tout en flottant sur les eaux de certains marécages et tu ne me voyais pas, ou si peu. Je prenais l’apparence d’un feu de joie dans les reflets des roses lunaires, et je riais de retrouver ici ou là les perles et le corail. Je pouvais te regarder derrière le saule pleureur, et puis aussi m’évanouir dans les écumes du soir, quand ton front perlait de certaines translucides mémoires. Je te voyais recueillir une goutte, puis une autre. De façon à ce que tu puisses me reconnaitre, j’y versais l’évanescence d’un effluve de rose. Il ne s’agissait pas de n’importe quelle rose. Ce rose est celui d’une petite fille qui l’a couché sur un mouchoir à l’aide d’un fin pinceau, afin de broder un pétale délicat. Elle s’en souvient encore, tel le geste qui ose à peine effleurer le tissu blanc. Petit homme, la déesse prit l’apparence de petits rochers ondoyants, non loin d’un océan dont le nom est serti des bleuets de mers antiques. Te confierai-je ce secret ? La déesse devint une étoile dans la main d’une enfant. La beauté vénusienne de cette très ancienne princesse remonte à celle de Néfertiti. Sa grâce avait conquis alors le monde entier. Elle avait prononcé l’exacte exactitude des mots au sourire d’une Aube nouvelle, et dans les mains de l’Amante, il se vint naître plusieurs sortes de coquillages. Je t’ai peint d’Amour quand l’ombrelle se transforma en une soie de couleur rubis. Je sais que tu noues tes mots pour ne pas les perdre et, je sais que tu en fais un collier précieux de vagues qui se déploient. C’est à la chaleur de ton cœur que je t’embrasse, Ô Rapsode sauvage !

Digression (28)

Comment éluder certaines situations, récurrentes au demeurant, et comment ne pas se figer des propos rencontrés dans les boisements de nos effigies ? Comment contourner l’incontournable quand se délecte l’étang de nos impropres saturations ? Il était une fois l’incroyable, l’enchantement le plus délicat, et les mots nous aspergent de leur inconfortable confort. J’ai longtemps entendu dans les sous-bois, les indiscrets bohémiens, ceux des véritables grands chemins, ceux qui s’annihilent quand vient le jour. D’une petite libellule gracieuse, nous vîmes sur-jaillir une infinité de farandoles. De celle-là, vous n’en avez aucun souvenir. Chaque fois que l’un éternue, l’autre applaudit. Ne me demandez pas pourquoi le papillon aux motifs originaux, plutôt que de s’échapper vient se poser sur l’épaule amie. Ne me demandez pas pourquoi, quand tremble le nuage, il me survient une sorte d’euphorie. Quand nous marchons sur le sentier, petit homme, un âne et un mulet nous saluent. Je cours vers les brebis dont la tonte est certainement récente puisque leur peau est blanche et leur corps est d’une douceur étrange. Ne me demandez pas pourquoi ces moutons me semblent si gracieux et si beaux. Voilà qu’un agneau saute et fait des bonds joyeux. Ne me demandez pas pourquoi je ris en le voyant ainsi. Ne me demandez pas pourquoi les bosquets et les haies ont toujours été des pays magiques où des lutins se cachent subrepticement dès qu’ils nous voient. Mais, comment se fait-il que je sais qu’ils sont là ? Font-ils exprès de laisser quelque trace bien en évidence ? Sous les mauves, les insectes s’activent et je les suis empêtrée dans ma robe longue. Les ronces ne nous épargnent guère. Mon châle s’accroche à toutes sortes de branchages tandis que vous, petit homme, courrez après les champignons. Vous semblez vous promener comme une marquise, me lancez-vous, et je ris car l’image m’apparaît décalée et pourtant, d’une certaine façon, si proche de la réalité. Le vent joue dans les branchages et voici que les fusains ou ceux que l’on nomment aussi bonnets de curé nous saluent allégrement. Son compagnon le chêne nous confie qu’ils sont là depuis des dizaines et des dizaines d’années, et que le sentier a vu passer tant de monde qu’ils ont tenu ensemble un mémorable registre. Néanmoins, quand plus personne n’est là, nos deux amis se confient réciproquement leurs histoires et je puis vous assurer que celles-ci sont nombreuses et parfois même des plus cocasses. Petit homme, voyez comme le geai passe alors que vous l’attendiez ? Je n’ai pas voulu vous le dire, mais figurez-vous, que là-bas, près de l’étang, une grenouille jouait de la mandoline et il me semble même l’avoir vue me faire un clin d’œil.

Chant d’une fille

Ecrit le 17 décembre 2017, en hommage à ma tendre mère.

J’étais en Ton Ventre, Ô Mère !
J’étais à rêver doucement des flux de L’Océan.
J’étais en Ton Ventre, Ô Mère !
J’étais à sentir Ton Cœur à L’Unisson du mien.
Il arrivait que le ruisseau des chants de Ta Bienveillance
Me donnait ces langueurs.
J’étais en Ton Ventre, Ô Mère
Et je dansais en Ton Balancement.
Tu m’as chanté Les Paroles de L’Au-delà,
Puis Tu as baisé mon visage.
Je suis encore en Toi, Ô Noble Mère !
Tes caresses m’enlacent et je Te vois.
J’étais en Ton Ventre, Ô Mère !
Et c’est ainsi que les larmes ont étreint mon Âme,
Du Vivant de Toi, j’ai épousé les contrées lointaines.
J’étais en Ton Ventre, Ô Mère
Et Tu me contais les images de La Sublime Vision.
Des prairies florales et des nuits de Tes Voiles,
Je courais ici et là, et Tu riais de Joie !
J’étais en Ton Ventre, Ô Mère !
C’est Toi que je vis en Moi.
Tes rires sont des perles que Tu trouves en Ton Sein
Et je savoure chaque instant qui est de Toi, mien.
J’étais en Ton Ventre, Ô Mère !
J’étais et Tu étais en Moi.
J’ai chevauché les nuages de Ton Lever
Puis j’ai vibré des Cantiques du Ciel de La Mort.
Tu as dit : entends, puis chante ces Paroles qui sont Ma Semence.
Ma Terre est fertile des rivières de L’Abondance.
La Mort n’est pas celle que l’on croit.
J’étais en Ton Ventre, Ô Mère !
Tu n’as jamais cessé de me prendre dans Tes Bras.
J’ai rencontré L’Ours Éternel et Le Renard des Bois.
Ils ont longtemps parlé et m’ont confié Le Livre d’Argent.
Il porte en Lui des vallées innombrables et le voici sans fin.
J’étais en Ton Ventre, Ô Mère !
Je n’ai pas cessé une seule fois.
Je chante Les Anciens.
Je chante pour toi et pour toi.
J’étais en Ton Ventre, Ô Mère !
Je n’ai jamais perdu Le Présent.

Je suis en Ton Ventre, ma fille, ne le vois-tu donc pas ?

Elfe

Être elfique
L’Ondée dans les brumes promises
Au soleil levant
Je T’ai surprise
Et nous avons dansé
Toi rosée et moi éprise
J’ai couru dans les prés
Des mûres conquises
A la bouche juvénile
Mon Elfe des sous-bois
J’ai croqué les cerises
Juteuses de tes rubis
Juteuses de ton ivoire
Et la main dans la main
Cette balade pleine de surprise
Ivres du vent ombragé de tilleul
Elfe de notre Joie
Je danserai avec Toi.

Nudité

L’Océan brise les derniers vestiges,
Ces vieilles digues,
Tandis que les remparts nous disent,
Que vivre libre est une semence éclose,
Loin des dérives,
Et des vains propos,
Que les mots nous étreignent,
Dans leurs bras indomptés,
Que Le Souffle est une essence,
Dont le parfum est à vêtir la nudité.

Digression (27)

Assise sur ce banc qui fait notre saison, nous comptons chaque petite goutte de pluie comme une effervescente cérémonie, de calme, de droiture et de joie. Nous échappons au moindre des bruits du monde. Combien de fois me suis-je retrouvée sous le platane du Jardin des Plantes ? Je n’ai pas toujours su donner aux arbres leur nom. Mais ai-je jamais manqué de saisir les palpables rugosités de l’écorce ? J’embrassais les feuilles et les fleurs. La guirlande de pluie sur la fenêtre, au matin, est un doux présage et j’observe la lumière du jour, perles nacrées du soleil caché derrière le voile nuageux. C’est ici que la crucialité nous saisit, sans détours. Voici que s’étourdit un pinson mystérieux enveloppé de branchages. Le moineau se baigne dans une flaque d’eau et nettoie avec minutie ses petites ailes. Tout a vacillé, et nous nous sommes échappée, tout en restant en cette Assise. Quel est donc ce navire imperturbable, ce Lac dorénavant stable ? Il n’est plus aucune émotion, si ce n’est ce Souffle puissant, à peine imperceptible. Beauté enchanteresse d’un monde véritable, d’une Terre promise. Sororité et fraternité des arbres balanciers : le cœur n’a pas changé. Il n’est point besoin de parler, ni d’écrire. L’instant est ici d’importance, relié au Ciel d’Amour. Unité et constance. Nulle trahison, ni corps mutilé, mais bien fervente Reliance, car la peur, aujourd’hui, est une drôlesse qui nous fait rire. J’embrasse Le Sol où je suis née et j’embrasse la vétuste fragilité de nos cœurs ensemencés. Sachez qu’en définitive, il n’est qu’un seul instant ; tout le reste est agitation.

Digression (26)

Peinture de Mark Arian

La guitare gratte quelques airs sur les cordes ivres alors que le balancement du corps ne s’est point séparé, ni d’ici, ni d’ailleurs et qu’il vit jusqu’au bout des doigts son étrangeté. Je n’ai pas su retenir la joie qu’aborde chacun des sens alors que la vie prête avec allégeance les couloirs diffus, quelques fois éclairés par une myriade d’étincelances, mais les pas et les silhouettes éthérées ne savent pas toujours déraciner l’opprobre. Il est vain de deviser avec la vie, elle est la première qui a parlé. Je l’entends souffler et nous révéler les plus infimes secrets et lorsque nous parlons, nous sommes à peine effrontée. Je m’en voudrais de vous voir disparaître dans les nébuleuses galactiques et alors que je me suis assise face à vous, j’ai reconnu chacun de vos gestes. Il me plaît à mon pauvre petit être de me noyer dans vos yeux si sérieux et il me plaît à moi de m’y promener, puis de regarder la vie qui vous a submergé. Oui, il me plaît infiniment de vous rencontrer et de parler, à vos côtés, par le biais d’un regard furtif et de vous compagner. Il me plaît de veiller au milieu des fétuques et que vous me parliez des lapins qui mangent l’herbe grasse et les immenses trèfles qui ont abondamment proliférés. Il me plaît de m’asseoir sur le banc d’un jardin secret, et que vous leviez le bras lors qu’un pli sillonne votre front halé par les nombreuses années. Je ne vous dis pas tout, je vous parle dans le silence et je vous dis ces choses pour ne jamais les oublier. Chaque moment est un prétexte pour vous visiter. C’est ainsi, je n’y peux rien. Alors petit être s’adresse à petit homme et ne peut plus le quitter. Vous m’avez dit : L’Ami est fidèle et je sais qu’il s’agit d’une promesse qui vient depuis fort longtemps, depuis qu’un certain jour a vu naître le rayonnement crépusculaire et que nos mains s’étaient liées par le serment de loyauté. Qu’est-ce donc que l’Amour, s’il n’est pas une éclosion d’Amour dans L’Amitié ?

Absolution

Mon cœur s’est vidé,
Absous des océans de formes violentées,
Mon cœur vogue sans discontinuité,
Jusque noyé dans l’abyssal vacuité.
En Toi, en fulgurance, s’est projeté,
Contre les flancs de Ton Imaginal,
Apaisé dans les profonds silences,
Et L’Aube émerveillée,
A défroissé nos yeux étonnés,
Car le cœur accueille l’abnégation.
Sans doute comme une chance.