Le passage du berger

José Alsina (Espagne, 1850-1925)

Peinture de José Alsina (Espagne, 1850-1925)

Une fois l’an, en cette période, après les cueillettes,
Un troupeau de moutons mené par son berger,
Un vieil homme déjà, s’appuyant sur sa houlette,
Allait pâturer dans les prés et les vergers.

Pour nous, enfants, cette scène était quasi biblique,
Tant elle évoquait en nous des temps très anciens ;
Elle prenait même valeur d’événement cyclique.
Le pâtre, disait-on, est un peu magicien,

Et même, selon certaines rumeurs, un peu sorcier ;
Mais l’on pensait alors la même chose des sourciers
Et de toutes les pratiques sortant de l’ordinaire.

Après l’école, nous allions vite le rejoindre
Et restions à l’écouter, jusqu’à voir poindre
Dans le ciel l’étoile qui ouvre la danse stellaire.

Marc

 

Se lit aussi sur Noblesse et Art de l’écu

Nevidzany_Slovaquie

Nasreddine, le fou qui était sage

Image associée

le fils de Nasreddine

Le fils de Nasreddine avait treize ans. Il ne se croyait pas beau. Il était même tellement complexé qu’il refusait de sortir de la maison. Les gens vont se moquer de moi, disait-il sans arrêt. Son père lui répétait toujours qu’il ne fallait pas écouter ce que disent les gens parce qu’ils critiquent souvent à tort et à travers, mais le fils ne voulait rien entendre. Nasreddine dit alors à son fils :  Demain, tu viendras avec moi au marché. Fort tôt le matin, ils quittèrent la maison. Nasreddine Hodja s’installa sur le dos de l’âne et son fils marcha à côté de lui. A l’entrée de la place du marché, des hommes étaient assis à bavarder. A la vue de Nasreddine et de son fils, ils lâchèrent la bride à leurs langues :

Regardez cet homme, il n’a aucune pitié ! il est bien reposé sur le dos de son âne et il laisse son pauvre fils marcher à pied. Pourtant, il a déjà bien profité de la vie, il pourrait laisser la place aux plus jeunes.

Nasreddine dit à son fils : As-tu bien entendu? Demain, tu viendras avec moi au marché. Le deuxième jour, Nasreddine et son fils firent le contraire de ce qu’ils avaient fait la veille : le fils monta sur le dos de l’âne et Nasreddine marcha a côté de lui. A l’entrée de la place, les mêmes hommes étaient là. Ils s’écrièrent à la vue de Nasreddine et de son fils :

Regardez cet enfant, il n’a aucune éducation, aucune politesse. Il est tranquille sur le dos de l’âne, alors que son père, le pauvre vieux, est obligé de marcher à pied ! 

Nasreddine dit à son fils : As-tu bien entendu ? Demain, tu viendras avec moi au marché ! 
Le troisième jour, Nasreddine Hodja et son fils sortirent de la maison à pied en tirant l’âne derrière eux, et c’est ainsi qu’ils arrivèrent sur la place. Les hommes se moquèrent d’eux :

Regardez ces deux imbéciles, ils ont un âne et ils n’en profitent même pas. Ils marchent
à pied sans savoir que l’âne est fait pour porter les hommes. 

Nasreddine dit à son fils : As-tu bien entendu? Demain, tu viendras avec moi au marché ! Le quatrième jour, lorsque Nasreddine et son fils quittèrent la. maison, ils étaient tous les deux juchés sur le dos de l’âne. A l’entrée de la place, les hommes laissèrent éclater leur indignation.

Regardez ces deux-là, ils n’ont aucune pitié pour cette pauvre bête !

Nasreddine dit à son fils : As-tu bien entendu? Demain, tu viendras avec moi au marché ! »
Le cinquième jour, Nasreddine et son fils arrivèrent au marché portant l’âne sur leurs épaules. Les hommes éclatèrent de rire :

Regardez ces deux fous ; il faut les enfermer. Ce sont eux qui portent l’âne au lieu de monter sur son dos.

Et Nasreddine Hodja dit à son fils :  As-tu bien entendu ? Quoi que tu fasses dans ta vie, les gens trouveront toujours à redire et à critiquer. Il ne faut pas écouter ce que disent les gens. 

Jihad Darwiche, Sagesses et malices de Nasreddine, le fou qui était sage

Histoire de crapaud

Frog illustration

L’histoire fait mention d’un récit plutôt étrange : un crapaud tout rabougri pestait en silence au sein même d’un primitif marécage ; il en avait fait son habitat. Il verdissait de rage, et sa langue devenait, à force de méchanceté, aussi pointue et fourchue que celle d’un serpent. Seulement, ce dernier qui trouvait qu’on l’accusait à tort de tous les maux de la terre en prit ombrage, vint le trouver et lui dit tout net ces quelques mots : dis donc, l’on me fait le récit d’un crapaud crochu, et l’on me rapporte qu’il s’agit, de fait, des attributs même du serpent. Or, le persifleur n’est pas toujours celui qu’on croit. Un crapaud à la langue fourchue n’a sans doute pas connu la belle qui eut éclairé du feu de son Amour, son cœur bien asséché. Un ami m’a confié ce secret : la plupart des créatures en ce monde souffrent de ne pas avoir été aimées. Et sur ce il partit en laissant le crapaud bien hébété.

Ce que l’on ne sait plus, c’est que de derrière le décor, une petite fille avait été témoin de ce dialogue qui l’avait étrangement émue. Elle s’avança sur la pointe des pieds et offrit à ce triste batracien la fleur de son Amour.

Viendras-Tu ?

<3

L’Etoile au Nord de Ton Lever hivernal depuis les Lunes de L’Intimité a vu l’ombre courir après les semences poétiques, et celle qui t’attend au ciel de Ton Regard se baigne au lac de Ta Majesté. Lumière en cette Lumière qui rayonne est à Te demander : viendras-tu cette Nuit, en cette luminescence du cœur qui bat, viendras-Tu donc me parler, mon Poète Bien-Aimé ?

Le suintement d’une fleur

Suintement d'une fleurPhotographie d’Océan sans rivage

Gardons en nos mémoires cette fleur de tournesol
Dont la tête penchée semblait comme en révérence.
Une nuit, une main désoeuvrée lui brisa le col
(C’est ce qu’inspire à certains les nocturnes errances).

La tige resta plantée seule, hébétée, longtemps,
Au milieu du jardin soudain pris de tristesse ;
Nous ne désirions pas l’en ôter pour autant,
Comme si nous avions senti en elle une promesse,

Un secret espoir, que nous n’osions formuler ;
Puis une intuition, les prémices d’une certitude :
La nature n’est pas prompte à capituler.

Les jours passèrent. Un matin, de la tige sortit
Une fleur, qui s’annonça d’une seconde le prélude !
Que d’Amour en cette incroyable répartie !

Marc

Lors que j’ai vu le suintement d’une fleur,
Je sais que jamais le vrai Amour ne meurt.

Océan sans rivage, Étrange

 

Se lit aussi sur Noblesse et Art de l’écuMalé Lednice_Slovaquie copy

Moisson

Image associéeGeorges Paul François Laurent Laugée

Le blé est mûr ; bientôt, ce sera la moisson :
Tout fruit a son Temps et toute récolte son labeur.
Ainsi en est-il de la terre de L’Homme : Sueur.
En lui Tout se révèle et ce Tout est un Pont.

Il est un champ que l’on sait labourer très tôt,
Lors que L’Aube est une Lueur au front de L’Homme.
Le cœur est vivant : ce sont des gestes ancestraux.
Le corps épouse un sillon que lui seul nomme.

Il est une Rosée de Joie ; la récolte est bonne.
Des gerbes s’envolent, le vent se promène en souriant.
L’on voit quelques chiens aux abois. Qui s’en étonne ?

Le jour soupire auprès du silence mûrissant.
L’ombre courtise les langueurs du laboureur.
En cette fraîcheur le sourire est de douce stupeur.

 

Se lit aussi sur Noblesse et Art de l’écu

Alchimie

Un jour, vous me confiâtes une graine.
L’ai-je bien enfouie sous la terre ?
Voyez comme je l’arrose de votre Mystère.
En ce cœur tout entier, L’Alchimie opère.

Tomtar och Troll , John Bauer

 

Des Rosées de L’Épanchement,
Une petite fille aux cheveux de lune
Se tint tout contre L’Arbre de Fortune.
Son Nom devint suave aux lèvres de L’Entendement.

  * Peinture de John Bauer (1882-1918)

Les traces de ceux qui ont tracé

.

En cet Étonnement, Le voici, L’Oiseau des Ondes !
Il a entendu depuis les Voies anciennes, d’Appel en Appel, en cette Chaîne de La Mémoire, Celui qui dit : Je suis Là.
Il a traversé les Vallées des Ténèbres, et vu les ruines du Temps.
Il a surpris dans les Eaux Profondes, les jaillissements de ce qui se féconde.
Les splendeurs d’un Silence dont les vibrations sont les semences de L’Histoire.
Ses yeux sont Le Lac de mille reflets et les langueurs d’une Perpétuelle Reconnaissance.
En cette Injonction, pouvait-il même fuir ?
Je suis à migrer en Lui pour L’Éternité.
N’écoutez pas le fou, il est à divaguer sur les flux de L’Amour !
Il est à rire encore des Beautés de L’Evasion.
Si un instant, il semble immobile, c’est qu’en vérité, il est si loin que son cœur est suspendu devant La Majesté !
Les ailes tournoient dans les légèretés de L’Orient qu’une Lumière de vagues occultent en Son Firmament.
Si vous approchez cet Oiseau migrateur, Il est à vous contempler depuis son vertige scrutateur.
Ce sont mille étincelles qui deviennent mille soleils en ces ruissellements que diffusent les mille épousées Lunaires.
Il a occulté Le Secret.
Il a ceint de pudeurs ces éloquences.
N’a-t-il pas tresser d’un fil de soie, l’Entretien que L’Alcôve réserve en Son Intime ?
L’Oiseau a vu L’indifférence se briser sur les Cristaux de La Transparence.
Il a entendu Celui qui dit : Je suis Là.
Les douceurs de La Noble Compagnie sont les ivresses d’un feu qui ne brûle pas, et transforme les étapes, en pliant les distances.
L’Oiseau a vu.
Est-Il ailleurs qu’en cette Vision ?
Ce sont les oublis d’un monde endormi qui ont affermi les fragilités de ses ailes amoureuses.
Vois comme Il épouse Les traces de ceux qui ont tracé…
Vois comme Il s’est détourné de l’insouciance !
Vois comme Il est en la fusion de L’Arborescence Originelle !

.

Océan sans rivage

Dieu a parlé

.

Délicatesse soyeuse des pas de L’Amant.
Pudeur drapée de la fierté d’un Roi.

.

Il y a fort longtemps, un soir de Noël, je m’en allais faire quelques achats.
Un vent glacial me cinglait le visage que je protégeais d’un long châle en laine.
Je marchais courbée.
Le cœur murmurait des prières.
Il se chantait des révérences que l’on aime.
Des douceurs d’autrefois.
Les larmes d’hiver coulaient le long des joues.
Le trottoir entendait les pas de la petite femme.
Il n’y avait nulle âme qui vive.
Le vent mordait les mains tapies au fond des poches.
Soudain, je vis un ivrogne devant la boutique.
Il était à finir sa boisson.
De pudeur, je voulus l’éviter.
Je décidai d’emprunter un chemin par l’arrière.
Lors que je fis un pas en cette direction, une voix m’interpella si fort que je sursautai :
« Hé, ma p’tite dame, passez pas par là, la voie est fermée ! »
Il me répéta cela plusieurs fois avant que j’obtempère : « j’vous dis, passez pas par là ! Ecoutez-moi donc, ma p’tite dame ! »
Je vis en effet qu’une barrière avait été dressée au milieu du chemin.
Je revins sur mes pas.
Quand je parvins à hauteur de l’homme, je m’arrêtais émue.
« Ma p’tite dame, je vous demande bien le pardon d’avoir crier ainsi, mais je voulais pas que vous vous trouviez coincée là-bas ! »
Je le regardais alors avec Amour, tandis que ses yeux étaient emplis de douceur.
« C’est moi qui vous demande pardon, oui c’est bien moi qui vous demande pardon » finis-je par lui dire.
J’avais voulu éviter cet ivrogne, et voilà qu’il était à me donner la plus belle leçon d’Amour qui soit.
Nous nous regardâmes ainsi pendant un moment, étreints tous deux par une indicible émotion.
Je sus que Dieu m’avait parlé.
Dieu est partout.
Dieu est ici, ou là-bas.
Il est là.
Il est en ce pauvre mendiant.
Il est en cet orphelin.
Il est en ce malade.
Il est en celui qui a froid.
Il est en celui qui est le plus improbable.
Cet homme et moi, nous nous saluâmes avec la certitude que plus jamais nous ne nous quitterions.
Nous savions que nous nous étions vus.
C’est en cette Prunelle que le Regard est Roi.

Océan sans rivage