
La Tour (suite)
(…) Alors que l’homme s’approchait de moi, il me prit le bras, m’entraîna de nouveau sur le petit palier et là, je compris que la Tour continuait de s’élever, investie de grâce effusive, alors qu’un escalier apparaissait simultanément. Aryani s’effaça discrètement, mais je m’en aperçus bien plus tard… L’homme et moi-même gravîmes les marches et nous nous retrouvâmes au sommet de la Tour. Ce qui apparût alors produisit en moi l’effet le plus extraordinaire qui soit. Je découvris un jardin dans lequel une infinité de roses s’étendaient aussi loin que s’étendait la vue. j’avançais lentement, tandis que les roses semblaient rutiler et mon âme se mit aussitôt à chanter au son de leur réalité essentielle. Je les caressais avec délicatesse tandis que je marchais sans plus rien voir autre que ces roses par milliers. L’homme, lui-même, avait disparu et mon cœur battait au rythme intense de la Roseraie. Où me trouvais-je ? Quel était ce lieu magique où ciel et terre se confondaient et s’invitaient à tour de rôle au rendez-vous le plus inouï ? Pourquoi m’avait-on conduit en cet endroit ? J’eus le temps à peine de me poser véritablement ces questions tant je me sentais moi-même comme ne faisant plus qu’une avec ce lieu. Le souvenir de la Tour s’estompa alors que je pouvais encore toucher son impalpable corps, ses pierres blanches, le sol éthéré de son univers étonnement organique qui s’était étrangement matérialisé en moi et me conviait en ce lieu que je savais parfaitement être le bout du monde. Ici, il n’y avait plus ni temps ni solidification, mais bien puissante Réalité dont les effluves provenaient de cette immense Roseraie. Me parla-t-elle ? Me confia t-elle l’indicible ? Il est un langage qui semble archaïque et de le traduire est désormais impossible. Nous tentons de nous rapprocher le plus possible de cette vraissemblance, mais nous ne pouvons l’exprimer sans le trahir. Mon âme demeura en ce Jardin, tandis que mon corps réintégra notre monde. Pouvez-vous le comprendre ? Je retrouvai Aryani et sa grande délicatesse, sa sage présence. Il continua longtemps ainsi de me visiter. Nous vécûmes des veillées entières où le temps n’est plus le temps, et l’espace n’est plus l’espace car l’amour est vivace de la complice amitié.
© Voyage au bout du Monde, La Tour. Océan sans rivage.